Dans la plupart des grandes nations civilisées de ce monde, aux abords des rues de la ville comme du village, sur les ponts et près des parcs, l’outil premier du piéton averti est le trottoir. Ce sentier de béton permet aux êtres pourvus de jambes et/ou de fauteuils roulants de circuler en toute sécurité et sans contraintes dans ces milieux urbains hostiles où se disputent quotidiennement divers véhicules motorisés, cyclistes excités, patineurs marginaux (MAIS OÙ EST LA GLACE!?) et petits animaux mésadaptés. Depuis plusieurs dizaines d’années, des ingénieurs réputés et des travailleurs assidus travaillent de pair afin d’offrir au monde l’apogée en matière de trottoirs; que ce soit le traditionnel trottoir de ciment, le trottoir pavé ou la passerelle en bois, tous les pieds y trouveront leur compte! Il est toutefois un facteur qui, indépendamment de la qualité du trottoir (les synonymes du mot « trottoir » sont bien rares, j’en ai peur), demeure problématique: sa largeur.
Lorsque je favorise mes chaussures à ma voiture ou mon vélo, j’utilise les infrastructures mises en place à cet effet et je suis constamment à l’affut de mon environnement afin d’éviter de percuter une porte, un banc, un enfant, un « pogo ball », un vieux téléviseur, une scie à chaîne, un tournevis plat, un étalon ou tout autre obstacle indésirable et imprévu. Soucieux du bien-être collectif, j’applique même certaines règles éthiques très personnelles telles que la circulation à droite (le klaxon étant souvent mal interprété). Conducteur émérite, je sais que la vie serait plus simple si les piétons circulaient de façon structurée, comme sur les routes (théoriquement), au lieu d’errer lamentablement tels des mouches en quête de bouses éparses. Que ce soit sur le trottoir le plus anodin ou dans un centre commercial dont l’allée principale est d’une largeur impressionnante, les gens trouvent toujours le moyen d’être extrêmement désagréables dans leur façon d’agir et n’ont aucunement conscience qu’ils sont dans un milieu public et qu’ils interagissent, volontairement ou non, avec les individus qui le peuplent.
Ayant précédemment fait mention de la rage au volant qui m’anime parfois, je ferai ici l’éloge de la rage piétonnière. Lorsque je marche tranquillement, m’adaptant malgré moi au rythme lent de la foule, profitant du soleil, il arrive qu’un voile rouge s’abatte devant mes yeux ébahis tandis que mes poings se serrent alors que quelqu’un derrière qui je gambadais innocemment s’arrête brusquement et demeure sur place sans considération pour le char d’assaut humain que je suis, ni d’ailleurs pour les millions de personnes qui me suivent. Vivement que l’on empale ces malotrus, doublés de ceux qui discutent en groupe en utilisant tout l’espace disponible, sans oublier ceux qui ne regardent pas où ils se dirigent, préférant regarder leurs amis laids (tant qu’à être hostile). Il y a aussi ceux qui, utilisant un trottoir standard, marchent en plein milieu en prenant bien soin de rendre difficile tout passage d’un côté comme de l’autre, sans oublier les adeptes de planches à roulettes et autres moyens de locomotion requérant un effort physique qui croient que le fait de ne point posséder de moteur rende légitime leurs actes téméraires alors qu’ils zigzaguent à toute vitesse entre les cônes humains. Il me tarde de voir l’un de ceux-là percuter violemment une porte ouverte à la volée… ou un marteau de guerre.
Tandis que tous sont prompts à s’insurger contre leurs semblables pour des raisons toutes plus pertinentes les unes que les autres, une forte fraction sont coupables des crimes contres lesquels ils militent bruyamment. Dans ce cas ci, le piéton contre lequel je vocifère présentement est probablement le vieil effronté qui tourna à droite sur un feu rouge (où il était d’ailleurs interdit de tourner à droite en tout temps) tandis que le passage pour piétons était activé. Ce responsable de tous les maux est d’ailleurs probablement le père de l’adolescent suintant et odorant qui, dans l’autobus, prenait toute la largeur de l’allée déjà encombrée en ne prenant pas la peine de retirer son immense sac à dos et qui, la veille, n’a pas laissé sa place à une vieille dame. Au souper, ils discuteront du vieil hurluberlu qui roulait à 40 kilomètres/heure avec sa Chevrolet Impala blanche (seul un être humain HORRIBLE pour oser posséder une Chevrolet Impala blanche) et de cette vieille dame sans scrupules qui est tombée sur l’ado, lui faisant échapper son iPhone qui, heureusement, n’a pas été endommagé. TOUT LE MONDE EST COUPABLE! Évidemment, je ne fais pas partie de « tout le monde ».
L’erreur étant humaine, de tels actes irréfléchis peuvent survenir même avec les intentions les plus pures. Accidents malheureux obligent, les politesses d’usage sont ensuite requises. Ceci dit, les statistiques (étudiées par mes bons soins et dépourvues de fondements acceptables) démontrent que les ignobles mécréants qui marchent lentement en plein centre du trottoir avec leurs gigantesques sacs d’épicerie ballottant de chaque côté n’ont pas tendance à s’excuser outre mesure lorsqu’ils se font dépasser par la rue et/ou insulter vivement tandis qu’ils devraient normalement tomber à genoux et supplier que l’on épargne leur misérable vie pour cet affront. À tous ces impolis du trottoir je souhaite de sombrer dans le bourbier de l’éternelle puanteur.